lundi 5 avril 2010

Dérives d’un monsieur sans importance

C’est une journée bien remplie pour Monsieur, satisfait de l’attention que ses proches lui ont portée. Aujourd’hui il a attiré les regards, les gens ont montré de l’empressement et de la prévenance à son égard. Mais fatigué par son altitude, il est rentré, serein. Chez lui, Monsieur ne se gène pas pour se mettre à l’aise et asseoir son petit cul sur le fauteuil. Un peu de musique, le folk sent le Sud ségrégationniste et abstrus, celui des poètes assassins du Tennessee. Un petit pétard et le tour est joué, Monsieur vient de s’assurer une petite heure tranquille, sans hasard. Monsieur n’aime pas les contingences. Monsieur t’emmerde et il aime ça. Il doit être en train de penser à tous ces idiots qu’il a croisés cet après-midi, une enfilade pénible et poignante, il resonge à ces gothiques fiers, frustres et innocents près de la cathédrale. Monsieur s’interroge ! Selon lui, cette communauté, composée de jouvenceaux, est sujette à des comportements autos agressifs et suicidaires, elle devrait s’effacer. Malgré tout elle consolide son assise géographique. Inquiétant ! Monsieur se renseignera plus tard sur Internet et plutôt il s’amusera de ces pauvres falots.
Monsieur aime les faits-divers, il aime la douce violence, une mère qui tue son enfant, un vélo cycliste heurté par un douze tonne, tout cela l’excite, c’est son métier, il écrit pour le journal de la région. Pour se faire, il faut être à la fois précis et laconique et surtout ne pas tomber dans le lugubre, le lecteur doit sentir cette pulsion de mort qui l’embrasse quand il commence à poser les yeux sur les premières lignes de la rubrique. Objectif : silence et érotisme.
Le lendemain matin Monsieur est anxieux, rien à présenter pour sa rubrique. Pas même un chat dépecé sur le bord de la route, il y a bien cette grande mère qui, dans un moment de déraison, a eu la prétention de pouvoir traverser la rue : cheville cassée et commotion cérébrale. Il n’y en a de toute façon pas assez, même pour trois lignes en dernière page, cette vieille femme est grossière, Monsieur aime quand l’absurdité et l’immaculé se rencontre au coin d’une rue, quand un ivrogne percute un berceau.
Monsieur prend sa voiture, il part pour le mariage de sa sœur, il porte un costume décontracté, une paire de Ray Ban sur le nez et une élégante cigarette au coin de la bouche. Fond sonore : Johnny Cash.
Tout en conduisant, Monsieur prépare son personnage, il veut séduire et tourmenter, et si possible trouver matière. Il a jusqu’à ce soir. L’idée de ce mariage perturbe Monsieur, sa sœur se fait conduire à l’autel par un moribond, une espèce de marcassin gaulois, gérant d’un abattoir de bovins. Monsieur ne peut comprendre. Figure fantasmatique de ses premières masturbations, comment peut-elle ? Monsieur préfère se concentrer sur le volant, il quitte l’autoroute et s’engage sur un chemin plus accidenté. Il est seul sur la route, il est inquiet. Il doit trouver matière quotidiennement : principale contrainte de son métier. Il aperçoit enfin le viaduc, il n’est pas perdu, sa sœur lui en a parlé. Planté au milieu de rien, Monsieur le pénètre, deux enfants s’amusent à lancer des pierres, la rivière est asséchée. Laissons Monsieur faire son travail, il a des responsabilités……Il arrive, on frappe les trois coups, il va pouvoir commencer à jouer.
« - Connaissez vous la mariée ?
- C’est ma sœur
- Vraiment ?
- Puisque je vous le dis ! Et vous ?
- Et moi ?
- Oui ! Vous connaissez la mariée, ma sœur ?
- Non, je suis invité par le marié.
- Je me ferais un plaisir de clouer un hibou sur sa porte d’entrée.
- Pardon ?
- Pourquoi ?
- Je ne comprends pas.
- Moi non plus. »

Je ne bois que du champagne, je ne mange que les petits-fours, je ne rentre pas dans l’Église. Dieu n’existe pas, il persiste. La Bible est un mythe, le curé est un mythomane, Jésus est masochiste, les mormons sont polygames.
Elle dit qu’il est beau ! C’est écœurant ! Elle l’aime ! Fétide ! Ma sœur et sa charogne !! Le monstre n’est plus brûlé sur un bûcher, on ne lui perce plus le flanc d’un coup de lance, de nos jours il est en haut de l’affiche, on lui voue un culte infernal, il fascine plus qu’il ne répugne.
Je reprends.
Monsieur est attablé, il boit, il écoute.
- Je suis persuadé que l’homosexuel est simplement un être dénaturé.
- Marie-Claude a toujours raison
- D’ailleurs demain soir, chasses à la folle aux environs de Villejuif, tu peux venir, c’est carrément sympa.
- J’apporterais une bonne piquette et un petit saucisson.
- Surtout n’oublie pas ton fusil.
- Aucun problème.

Monsieur sourit, il imagine Marie-Claude et son ami, les yeux bandés, attachés à un poteau, fusillés par la Waffen S.S. Un anachronisme croustillant. Les Allemands sont de bons soldats, dans les tranchées, ils ne s’occupaient pas à barbouiller des chansons antimilitaristes sur un bout de papier. Rudes et farouches les Germains ! Trois guerres, trois humiliations, merci messieurs on a compris la leçon. Monsieur se plait à l’ironie, il a aussi l’habitude de faire la critique de l’ordre moral et social, celui qui s’est imposé et que l’on ne remet plus en question. Il déteste ce despotisme moralisateur qui oppresse la vie de chacun jusqu’à entrer dans la sphère privée et intime. L’homme est tout puissant mais résigné. Il meuble et empile pour ne pas avoir à creuser et chercher la véritable malédiction qui pèse sur lui. Toutes les portes sont closes, il observe la fin du monde avec cynisme. Une farandole d’aveugles vaniteux qui avancent décomplexés et coquelins en direction de la falaise. Monsieur aime ce genre d’allégorie, ça le rend intelligent. D’ailleurs une splendide créature fait son apparition, il est temps pour Monsieur d’aller étaler un peu de confitures mais avant tout, il faut observer.
C’est une mature, le temps à laisser ses traces, malgré tout ses jambes sont bien faites, la culasse est bien vissée, ses ongles sont soignés et propres, le fruit est encore rouge, il faut le croquer avant qu’il ne pourrisse. Il s’approche, elle le voit et sourit, ils discutent. Monsieur n’écoute pas, il s’attarde sur son interlocuteur qui présente une étrange proéminence du cartilage au niveau de la thyroïde, Monsieur commence à comprendre. Il ne veut pas le repousser, il a envie et lui aussi. Pourquoi ne pas s’éloigner un peu ? Elle s’offre à lui comme une femme, sa peau est douce, ses hanches sont fermes, sa bouche est un sexe. Monsieur détaillera avec précision son expérience à un ami, qui racontera tout à un autre ami, et cela circulera au gré des flots et des marées. Si Pat Bateman était passé par là, la charmante courtisane aurait fini clouer sur un arbre, émasculée, vidée de son sang, la tête en contrebas. Mais ce n’est que Monsieur, il a bien pensé à lui tordre le cou, enfin quand même, il en a assez fait pour aujourd’hui.
L’après-midi touche à sa fin, les invités commencent à partir, les familles des deux époux restent pour se retrouver ce soir. Monsieur va aussi rentrer, il n’est plus convié aux dîners de famille. L’an passé lorsqu’il s’est levé en plein repas pour demander la parole, il a dit : « Je suis heureux d’être parmi vous. Mes parents, ma sœur et son mari, tous nos amis. Je tenais à exprimer ma joie et mon bonheur, vos fiançailles me rendent heureux! Certaines personnes prétendent le contraire, ils ne connaissent pas l’amour que j’ai pour ma sœur, ma moitié, ma première. Une dernière chose. Je connais quelqu’un, ici, qui a un problème, ce problème concerne tout le monde et chacun d’entre nous, alors je le dis, cette femme devant moi que je montre du doigt, jeune et innocente, oui cette femme blanche et inoffensive en apparence, cette femme, la femme devant nous, mes chers amis, est séropositive ». Monsieur décide de rentrer après avoir fini son verre. Assis à table, il prend un stylo et griffonne sur une serviette.
« Corps sans vie-adolescents-Paul 14 ans-Antoine 13 ans-accident-jeu-chute-viaduc-suicide (?). »
Tout un métier, il suffit de passer à l’acte.
Monsieur prend sa voiture. Une route tortueuse, un chevreuil en plein milieu, un bon coup de volant et Monsieur ne respire plus.

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