Aujourd’hui, Perséphone et moi-même proposons une sorte de chassé-croisé entre souvenirs d’enfances et déviances sexuelles. La gentillesse de Persépute et la vacuité de son blog m’ont amené à lui proposer ce projet afin qu’elle puisse se renouveler et apaiser des lecteurs qui restent sur leur faim. Mon texte est en gralique, le sien en normalique.
Le cerveau a l’incroyable capacité de stocker des informations au cours du temps, de les enfouir et de les faire ressurgir. Parfois, ces souvenirs sont tellement dérangeants que l’éruption est insupportable et qu’il convient de se concentrer 20 secondes pour entamer une dynamique de refoulement. J’ai l’exemple tout bête d’un soir où je rentrais de l’école et de ma mère qui m’interrogeait sur ce que j’avais assimilé ce jour là. Je lui ai répondu que j’avais appris comment on disait “Eau” en Anglais et j’ajoutais avec un ton pontifiant et professoral “Cela se dit de l’ô” et je répète “de l’ô”. C’est à dire comme l’eau en français mais avec l’accent anglais. J’avais huit ou neuf ans. Je ne comprends pas pourquoi ma mère n’a pas relevé ce mensonge ostentatoire et s’est contentée d’ignorer. J’essaie de comprendre et c’est à partir de là que l’investigation devient souffrance puisqu’il faut faire appel à des souvenirs enfouis, pour de bonnes raisons, dans notre inconscient.
Quand j’étais petite, mes parents voulaient absolument que je sois musicienne. Je n’en avais pourtant pas la fibre. Alors, très jeune, ils m’ont mise au piano, mais un jour, à onze ans, j’ai annoncé que je voulais cesser, il y avait à cela deux raisons. Ma professeur, une vieille femme, était pourvue d’une haleine absolument infecte et je supportais très mal cette odeur de putréfaction qui me ramenait déjà à ma terreur de la décomposition corporelle. Crémation rulz. Et puis ma mère étant elle-même pianiste, elle passait son temps à me reprendre, me corriger, en substance, à m’emmerder quoi. Alors on m’a dit ok, tu peux cesser le piano, mais de quel instrument souhaites tu jouer à présent? Mon souhait était de ne plus jamais toucher à un objet produisant du son (homme mis à part bien sûr), mais il se trouve que cela ne faisait pas partie des options, alors j’avais répondu clarinette. En musique, en plus d’être passionné, on est soit doué et bosseur, soit bosseur et bosseur. Moi j’étais nulle et fainéante et n’avais déjà de passion que pour les choses futiles. Puis en parallèle des leçons sur l’instrument, on m’imposait plusieurs heures de solfège par semaine, en groupe, heures durant lesquelles, le professeur nous demandait de chanter des notes, seul, devant tout le monde, à haute voix. L’enfer sur terre. Un jour, alors que je rentre d’un cours, mon instrument à la main, ma mère me demande de lui jouer le morceau sur lequel je travaille. Dans l’incapacité d’enchaîner correctement plus de trois notes, je joue donc n’importe quoi, quelque chose d’informe, de surtout pas mélodieux, de laid, puis lorsqu’un temps qui me semble suffisant avant de tomber dans l’insupportable et de faire saigner mes tympans sans talents s’est écoulé, je cesse. J’attends la sentence. Ma mère ne m’a fait aucune remarque. Rien. Pourtant, elle savait. Lorsqu’un an plus tard, j’ai demandé à arrêter définitivement la musique, elle a accepté sans broncher.
Malgré ma couardise et la lâcheté qui me caractérise quand il s’agit de faire de l’introspection, il y a quand même des souvenirs impérissables de l’enfance qui, si ils veulent être compris, impliquent une analyse plus globale, une analyse sociologique presque politique.
Je bougeais mon corps pour aller faire les courses au Monoprix – jusque là rien d’extraordinaire, j’allais chercher de la nourriture pour ne pas mourir de faim – c’est alors que je me retrouvais face à face avec Uncle Ben’s. Son business à lui ce n’est pas la canne à sucre mais le riz, d’ailleurs un noir dans une rizière, c’est comme un touareg dans la pampa, c’est esthétiquement assez improbable, les flux migratoires seraient en désordre. Uncle Ben’s lui ne se pose pas tant de question avec son sourire de supermarché et sa tête de bon sauvage. Je prends le paquet de riz, c’est alors que ressurgit de ma mémoire la collecte du riz pour les Somaliens en 1992 dans les écoles primaires. À la tête de cette entreprise, le très insupportable Bernard Kouchner et son armée d’instituteurs gauchistes pressés de se racheter une conduite pendant le désastreux mandat d’Edith Cresson comme premier ministre. Je me rappelle avoir fait un cinéma pas possible à ma mère pour qu’elle achète du riz Uncle Bens, de la marque, pour montrer à mes petits camarades que moi je n’achetais pas du riz bon marché pour les enfants qui crevaient la dalle. Ce fut, dans mes souvenirs, la première preuve indirecte d’allégeance à la société du paraître, à la société capitaliste. Je lutte pour refouler cette pensée, je l’enfonce bien loin dans ma mémoire et je pose Uncle Ben’s dans le caddie par dessous mon paquet de Frosties avec le tigre trop coolos.
Je déambulais dans les rues pour trouver quelque chose à acheter, victime d’une énième envie de consommer hebdomadaire. En passant devant une maternelle de mon quartier, j’entends s’évader par les fenêtres d’une classe une comptine. Vous devez la connaître. “Une poule sur un mur, qui picote du pain dur, Picoti picota, lève la queue et puis s’en va”. Alors je me suis souvenue de ma dernière année de maternelle. Chaque semaine je crois, nous donnions des poumons sur cette chansonnette. J’étais à chaque fois horrifiée, car j’avais toujours cru que les paroles étaient ‘”lève la queue et pisse en bas”. Je trouvais cela terrible, vulgaire, imprononçable et sale. Alors lorsque ce passage arrivait, je baissais la tête, honteuse, et murmurais cette horreur, pensant aux 2 francs que je devrais normalement mettre dans la cagnotte pour cette grossièreté prononcée, pire, scandée sous la bénédiction de l’éducation nationale. C’était ma chanson paillarde à moi. Puis un jour, la maîtresse me demande de chanter seule, pour une raison que j’ai oublié, je m’exécute, dans un état de confusion extrême, puis lorsque je chantonne, marmonne plutôt, cette dernière phrase qui me révulse, la maîtresse m’interrompt, rieuse, et me demande de répéter. Ce que je fais, les larmes aux yeux. J’ai été la risée de ma classe pendant toute l’année. De là, ma haine du chant, ma haine des cours de solfège, mon niveau médiocre en clarinette, le mensonge muet de ma mère.
J’oublie, je me concentre sur ma nutrition et les bons produits que je vais acheter pour faire plaisir à mes organes vitaux. J’achète aussi une bouteille de vin car ce soir je vais boire. J’ai rendez-vous avec une fille que j’ai rencontré sur l’Internet. Une petite putaine assez jolie qui fait des vidéos assez merdiques mais sachons être tolérant, ce n’est pas tous les jours facile d’être une fille avec de l’humour. Je vais boire pour me donner du courage, être ivre pour me rendre joyeux, elle croira que je m’intéresse à elle et que je suis content d’être en sa compagnie. Je suis un petit coquin. Nous allons dans un petit bistrot des familles, ambiance décontractée et bon enfant. Après quelques heures de franche rigolade, je lui propose de prendre un dernier verre dans mon appartement qui cela dit ressemble plus à un piège à loup qu’à une garçonnière. Elle accepte, elle me dit qu’elle a envie de moi, que je suis un type bizarre. Je ne réagis pas, je n’ai pas envie de rentrer dans une pseudo analyse psychologique à 2h du matin avec cette fille bourrée que je connais à peine. Sur le chemin, elle commence à me parler de son blog Perséphone et de pourquoi elle a choisi ce nom. S’en suit alors une longue et soporifique explication de ce mythe grec, j’essaie d’intervenir et de lui faire comprendre que je connais cette histoire, elle continue, elle parle d’Hadés, de Zeus, de saisons, c’est insupportable.
Nous arrivons chez moi, elle a faim. Soucieux de ne pas la contrarier et parce que ce n’est pas très agréable de faire l’amour le ventre vide – surtout pour ce sac à foutre – je lui propose du riz. Je rentre dans la cuisine, c’est alors que Uncle Ben’s réapparait sur le paquet. Je transpire, je me sens mal, je n’ai plus de salive, ma bouche est sèche, je flageole. Je me reprends, je n’ai pas fait tout ce boulot pour m’effondrer maintenant. Elle commence à s’approcher, le regard complice, nous enchainons les sujets de conversations avec une certaine aisance mais elle parle beaucoup quand même. Elle me parle de sa passion pour le cinéma et qu’elle aime faire des choses coquines dans les salles de projection. J’imagine tant de choses. J’imagine mon sexe dans sa bouche. Elle me dit qu’elle aimerait bien revoir son film préféré avec moi. Je lui dis pourquoi pas et lui demande quel est-il. Waterworld avec Kevin Costner !! MALAISE. Je perds mes moyens. Water c’est eau en anglais et non ôworld. Je suis en larmes. Elle me tue cette fille. Elle me tue. Involontairement, elle me renvoie une mauvaise image de moi. Je suis tremblotant et c’est le moment qu’elle choisit pour me sauter dessus. Elle se déshabille et moi je pense à mon mytho et à Kevin Costner avec son costume de merde. Comment peut-elle aimer ce film ? Si elle aime ce film et que je l’attire, c’est qu’il y a un problème, je ne suis pas dedans. J’ai envie de mourir alors qu’elle est entrain de me sucer. Je la repousse. Je m’en vais, je vais réfléchir à mon suicide en fumant une clope sur ma fenêtre. Perséphone, serre moi fort avec un objet contendant, je t’en prie.
Je descends dans le métro pour me rendre à un rendez vous que j’ai connement accepté, parce que parfois, je fais ça, des trucs cons, parce que je suis un bipède de type femelle, et je ne réfléchis qu’après avoir répondu par l’affirmative avec pour BO un ricanement débile de meuf pourvue d’un QI de télésiège en panne. Je sors donc boire un verre avec un type qui a un blog, Jesuisunblog il s’appelle. Un merdeux si j’en crois son twitter. On se saoule comme deux poches dans un bar, on a au moins ça en commun, le comportement addictif j’entends. Puis le bar ferme, il me propose un verre de vin chez lui, je réponds favorablement pour la raison précédemment évoquée amplifiée par la consommation d’alcool. Quelques dizaines de minutes plus tard, la porte de son appartement reclaque derrière nous comme un avertissement. “Mais qu’est ce que tu branles ici?!” m’interpelle alors mon cortex, Je m’apprête à lui balbutier une réponse que j’ignore encore moi-même, lorsque mon estomac m’interrompt d’un “j’ai faim”, Ce dernier organe jouit d’un accès prioritaire, alors j’interroge mon hôte saoul à ce sujet. Il n’a que du riz m’annonce t il. ça fera l’affaire je réponds. J’ai juste besoin d’éponger le litre de vodka qui chatouille les parois de mon système digestif.
C’est à partir du moment où nous avons pénétré dans sa cuisine que ce qui n’était jusque là que pathétique s’est mis à virer au glauque. Lorsque le mec s’est mis à préparer le riz, il est devenu bizarre, lorsque nous avons discuté cinéma, il a carrément commencé à divaguer dangereusement mais… un verre en entraînant un autre, nous nous sommes quand même retrouvés nus, enfin, à moitié, baiser étant finalement l’alternative la moins merdique, étant donné son quasi autisme dans la conversation et ses réactions tenant de la pathologie mentale, je pense, à l’évocation de certains mots clefs. Et là… alors que je m’affaire buccalement, ce qui est d’ailleurs vaguement efficace pour m’éviter de débiter des conneries, à bon entendeur… ce blaireau me fait le coup de la panne. Le pire étant que pour se justifier de son incapacité à bander, il me sort une histoire étrange et assez incompréhensible de gosses, qui crèvent de faim, en Afrique… une excuse bidon particulièrement élaborée dans son non sens, weird tendance flippante… Puis, en conclusion de son délire, je crois qu’il m’a appelée Bernard… À cet instant précis, malgré mon taux d’alcoolémie vachement haut, mon instinct de survie me suggère de décamper de là vite fait, je commence à me rhabiller, un peu fébrile quand même, histoire de me tirer chez moi et de pouvoir tweeter tranquillement que ce branleur est un coup foireux, lorsque… en récupérant mon string qui avait glissé sous le canapé, je tombe sur un de ces masques en plastique… Un masque de poule….
Nausée. Chaud. Froid. Tremblements. Nausée encore. Tout devient un peu flou ensuite. J’ai pris le masque dans mes mains, m’en suis recouvert le visage, lui était sur le balcon, en train de piteusement fumer une clope en pensant sûrement à son histoire de riz pour l’Afrique. Je suis allée dans la cuisine, j’ai trouvé un couteau assez correct pour assouvir mon envie immédiate, je me suis approchée du balcon, il était assis, sur le sol, sa clope à la main, le regard dans le vide, le contenu d’un paquet d’Uncle Ben’s répandu à ses pieds. Je crois qu’il comptait les grains… le barge… Il a levé les yeux vers moi, il a vu le masque, a balbutié un “mais qu’est ce que tu fous?”, j’ai penché la tête sur le côté, ai commencé à chantonner… une poule sur un mur qui picote du pain, Picoti picota, lève la queue et pisse en bas… Avec sa tête de con, il s’est marré, un peu. “Et puis s’en va!” m’a t il reprise dans un rictus particulièrement crispant. Alors je me suis accroupie à sa hauteur, et j’ai planté cette lame pas si acérée. 37 fois. 37, Indre et Loire, c’est là que j’allais à la maternelle.
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