jeudi 22 avril 2010

Comment tuer quelqu’un sans se faire prendre ?

Claude et Béatrice sont dans leur cuisine stylée à l’Afghane, la faïence est en lambeaux et le carrelage craque sous les pieds. Il ne manque que deux ou trois poules qui bécotent au hasard et la dépouille d’un soldat Russe pour vraiment planter le décor. Seulement, les deux tourtereaux ne sont qu’au cœur d’une cité HLM d’architecture post-soviétique et mal frequentée, il ne s’y passe rien à part sinistres et cynisme. Vie morne et inconvenante. Claude doit cohabiter avec les moudjahiddines en charentaise qui depuis que les neiges ont fondu, repassent à l’offensive et réinvestissent le quartier. L’hiver est rigoureux dans la cité qui se chauffe essentiellement au charbon. Pour Claude et Béatrice, l’exposition journalière à la poussière de houille a affecté leurs poumons. Claude fume et cela n’arrange rien à l’affaire, il couvre une tumeur au thorax, on ne peut pas parler encore de stade métastatique mais ça se profile. Claude ne sait rien. Persuadé d’être une force de la nature, dans deux ans au plus tard, il demandera à ce qu’on l’achève sur son lit d’hôpital, à la hache ou euthanasié cela importera peu.

Béatrice, elle, ne ressent pas, répugnée la pauvre, elle ne supporte plus Claude et particulièrement la façon qu’il a de se tortiller quand il fait l’amour. Un mollusque infâme qui s’avachit contre elle et remue et remue et remue. Il transpire, il pue et elle sent la chair dégoulinante de son ventre rebondir sur ses reins. Béatrice voudrait disparaître, elle aimerait fuir et elle est accrochée à cet épais sac baveux. C’est un petit homme, gros et flasque, son crâne est dégarni, il ne lui reste des cheveux qu’aux dessus des oreilles, des petites oreilles en pointe, des lunettes rondes et des dents de lapin. Il n’est pas question ici de décrire Béatrice, elle n’existe pas, elle est annihilée, inexistante, elle n’est qu’une serpillière vaginale, une casserole dans la main droite, un balai dans la main gauche. Elle n’a que la fenêtre comme échappatoire quand elle sautera, elle redeviendra humaine. Conséquence logique de cette dégénérescence, je l’appellerai Grossière Erreur, décision cruelle mais l’omniscience et le pouvoir que j’exerce sur mes personnages est tyrannique et impitoyable.

Sautera ou ne sautera pas, telle est la question. Je ne lui laisse pas l’opportunité de redevenir une femme autrement que par la mort, autrement que par le choix, celui que l’âne de Buridan ne pourrait faire, le choix de Sartre, celui qui façonne, celui qui engage. Il est certain qu’auparavant Grossière Erreur ne fut pas un exemple de virtuosité et d’ingéniosité, mais elle avait sa place au sein de la société. Elle pouvait encore prétendre à détenir une identité particulière ainsi qu’une permanence dans l’espace, une sorte de consubstantialité ternaire : Femme, mère, tributaire. Un personnage inanimé que je viens de peindre, une nature morte, encore plus terne qu’un panier d’aubergine sur une table en bois…Qu’elle saute ! Qu’elle crève !! Marre !!! Lecteur, tu vas assister à un meurtre…Non !! Tu vas le commettre… Elle est là, devant toi, elle ne bouge plus, tu n’as plus qu’à la pousser, une petite pression sur le dos, c’est comme à la piscine. Tu avances, tu es décidé, c’est l’heure pour l’Erreur. Emporté par la plume, déterminé par la divine littérature, tu la soustrais au monde, la libère de ses chaînes. Envolée, désarticulée, fracassée.

2 commentaires:

Unknown a dit…

Wooooooooouuuuuuuuuuw............je pensais pas trouvé cette histoire quand j'ai tapé sur la barre de recherche "comment tuer quelqu'un sans se faire prendre"...cette histoire est bien(elle est super sa r@ce) mais j'éspére qu'elle n'est pas réel, sinon sa serait triste😥

sude a dit…

bolu
bursa
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denizli
01V8

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